Du khôl pour homme ?
L’objet se présente sous la forme d’un stylo-feutre. Noir, à capuchon noir. Simple comme un accessoire de bureau. Discrètement glissé dans la poche d’un décideur, il s’invite la nuit pour métamorphoser le plus pâlot des hommes en un séducteur-né aux yeux soulignés d’un trait… de khôl. Tout Beau, la première ligne de maquillage pour homme lancée cet automne par Jean-Paul Gaultier, est une petite bombe dans l’univers cosmétique. Au diable les tabous : Le Beau Baiser (baume à lèvres nourrissant), Les Beaux Ongles (stylo lissant fortifiant), La Belle Mine (terre de soleil matifiante vendue avec son blaireau), Le Trompe Fatigue (baume éclat hydratant visage) sont comme les nouveaux gages d’une apparence en pleine mutation.
Avec Tout Propre, la ligne de produits de soin, et donc Tout Beau, Jean-Paul Gaultier part en guerre sainte contre les préjugés de la bourgeoisie, et s’interroge le plus naturellement du monde : « La beauté peut-elle devenir un nouveau droit de l’homme ? » Jamais les hommes, qui fréquentent sans honte les instituts de beauté, surveillent leur hygiène alimentaire, n’auront été autant chouchoutés. Les joailliers, comme Cartier, signent pour eux des lignes de bijoux.
La mode vient du Japon, où les jeunes Tokyoïtes fréquentent les "nails bars" ("bars à ongles"), osent les couleurs vives et ombrent leur regard de mascara… Peut-on parler d’un nouveau dandysme ? Sans doute. Je préfère ces hommes-là aux figures sans reproche des années 90, troupeaux d’êtres "lisses" et sans histoire, politiquement corrects, n’osant jamais arborer une nuance trop "remarquable", protégés derrière l’écran beige ou noir de leurs peurs. C’est au moment où ils cultivent leur apparence que les femmes, elles, multiplient les jeux de rôles. Les voici, pour l’hiver, amazones, androgynes, en pantalon noir et chemise blanche, ou en perfecto et "leggings" (caleçon moulant).
Masculines ? Sûrement pas. Pour parer ces héroïnes, les laboratoires cosmétiques n’hésitent pas à multiplier les gloss "volumateurs", les rouges à lèvres "repulpeurs" : une façon d’aimanter les regards des hommes aujourd’hui trop narcissiques ? Quand L’Oréal lance Invincible pour que la bouche « brille d’un éclat subtil, aussi précieux et luxueux que le platine », on comprend que la guerre des sexes est loin d’être finie. « Ce sont les féministes qui ont poussé les hommes à se laisser aller », me confie Karl Lagerfeld. Restons nature : entre le "mâle" remis en question et la "poupée" rebelle, voire guerrière, le match du troisième millénaire ne fait que commencer…
Psychologie.com
Laurence Benaim