Chaque culture a sa sage-femme. Dans de nombreuses sociétés, les accoucheuses traditionnelles sont des femmes de plus de 50 ans qui ont eu des enfants.
> En Egypte, on les appelle les dayas : réputées pour leur tolérance et leur disponibilité, ces femmes entourent la future maman et lui prodiguent des soins 100% naturels.
> Au Maroc, la qabla masse le ventre et la vulve à l’huile d’olive pour les assouplir et faciliter l’expulsion du bébé. Elle prépare également des infusions à base de thym de menthe, de clous de girofle et de cannelle pour soulager les contractions.
> Chez les Masaï, on trace des motifs sur les ventres des femmes prêtes à accoucher pour accueillir le bébé.
Regard d'Orient : l'accouchement au Maghreb
Je vais vous parler de l'accouchement traditionnel au Maghreb car, si de plus en plus de femmes accouchent à l'hôpital, dans les régions rurales, elles donnent encore la vie comme leurs grands-mères.
Cependant, certains symboles ou rituels perdurent aussi chez les femmes urbaines, quel que soit le type d'accouchements.
Traditionnellement, quand une femme accouche, elle est immédiatement prise en charge par la famille au sens large, cela inclut la mère, les sœurs mais aussi les cousines, voisines et amies.
Mon arrière-grand-mère aimait beaucoup être conviée à un accouchement, sa présence était parfois considérée comme un honneur, étant donné son statut et son expérience. Elle n'était pas sage-femme mais venait prodiguer un soutien et de bons conseils.
L'accouchement est un moment qui se vit entre femmes. Ainsi, dans des sociétés patriarcales plutôt machistes, les hommes n'y ont pas leur place. La pudeur fait que les femmes ne souhaitent pas que leurs maris voient le sang ou les différents excréments.
Et puis, c'est un moment de transmission des savoirs féminins. Qui, mieux que des femmes, peuvent en aider une autre dans ce moment-là ?
L'accoucheuse traditionnelle, appelée Qabla, ce qui signifie "celle qui accepte" ou "qui reçoit", est la parfaite représentation de ce savoir.
En général, c'est une femme pieuse ayant elle-même eu plusieurs enfants. Appelée quand le travail commence, elle assiste la mère tout au long de la naissance, un vrai coach !
C'est elle qui fera brûler de l'encens dans la pièce où l'enfant va naître, pour assainir l'air et conjurer les mauvais esprits.
Elle peut aussi préparer des tisanes, pour augmenter les contractions et accélérer le travail ; masser la mère, qui peut marcher, s'asseoir ou prendre la position qu'elle souhaite pour faciliter la descente du bébé.
Parfois, d'autres femmes la soutiennent, si elle se met debout. Dans certaines régions, une corde était accrochée au plafond pour que la mère s'y suspende. Une façon de faire qui a inspiré aujourd'hui un siège d'accouchement multifonctions où la femme peut choisir ses positions.
La dizaine de femmes présentes se racontent leurs histoires, ce qui distrait un peu la future mère, évitant ainsi qu'elle ne se concentre sur sa douleur. Elles l'encouragent aussi à pousser et la rassurent.
La mère, elle, a défait ses cheveux, comme la ceinture qu'elle porte autour de la taille ; elle a enlevé ses bijoux et s'est habillée d'une tunique ample. Symboliquement, elle doit défaire tous les liens qui existent, pour supprimer toute idée de fermeture et mieux se laisser aller.
La sage-femme traditionnelle a, en général, des connaissances empiriques. Elle peut masser le ventre de la mère, pour mieux positionner le bébé ; enduire le périnée d'huile d'olive, pour éviter toute déchirure, ou encore percer la poche des eaux, si nécessaire.
Au moment de l'expulsion, les femmes cessent leur bavardage pour accompagner la mère et l'enfant de leurs prières et de leurs vœux.
Quand l'enfant naît, il est enveloppé d'un linge blanc, et la sage-femme est la première à avoir l'honneur de lui murmurer ses premiers mots.
Elle lui récite la Shahada, c'est-à-dire la profession de foi de tous les musulmans.
Puis, si c'est un garçon, elle pousse trois you you sonores ; tandis qu'elle reste muette, si il s'agit d'une fille... Dommage pour le machisme et tant mieux pour les oreilles de l'enfant !
Ensuite, le père, parfois resté fébrilement juste en dehors de la pièce, est invité à voir son enfant.
La Qabla se charge de couper le cordon, parfois le morceau qui tombera de l'enfant est conservé par la maman, comme talisman.
Le bébé est ensuite lavé sommairement avec un chiffon, il ne prendra de vrai bain qu'au septième jour, par crainte, dans les milieux rudes, des gerçures. La sage-femme ne le sait peut-être pas, mais ainsi, la mère et l'enfant s'imprègnent mieux de l'odeur de l'un et de l'autre.
Celle-ci met aussi quelques gouttes de citron dans les yeux du bébé : un collyre naturel.
Puis, elle s'occupe de la maman, la nettoie et lui bande le ventre avec un grand drap. C'est elle aussi qui se charge d'enterrer le placenta. Même si, dans certaines régions, il est tout simplement jeté.
C'est enfin elle qui assurera les soins à l'enfant pendant quinze jours, lavera les vêtements souillés, assurera les massages traditionnels à l'enfant et au ventre de la mère.
Après un accouchement, les amies et parentes sont chargées d'apporter à la mère des plats reconstituant. Ils varient beaucoup selon les régions mais il y a au moins un plat de sucres lents, à base de semoule, et des plats riches en sucre rapides, avec beaucoup de miel.
Aujourd'hui, les femmes ont de moins en moins d'enfants, elles ont tendance alors à privilégier la qualité sur la quantité, et le recours à la médecine en fait partie. Mais les Qablas assurent encore de nombreuses naissances, car les sages-femmes et les accoucheurs expérimentés manquent.
Le Maroc ne compte ainsi que 200 gynécologues et 500 sages-femmes pour autant de naissances qu'en France, où 16 000 sages-femmes sont en exercice. En plus, l'assurance-maladie coûte cher et certaines ne couvrent pas la grossesse.
Le résultat est que de nombreuses femmes restent mal suivies pendant leur grossesse, et la mortalité maternelle et infantile reste élevée, surtout en Algérie et au Maroc.
Au Maroc, sept femmes meurent chaque jour en couche, trois fois plus qu'en Tunisie, où l'Etat a mis l'accent sur la formation des accoucheuses traditionnelles et l'offre de services de santé, même en région rurale.
Cela dit, même à l'hôpital, les sages-femmes gardent une place privilégiée, elles sont toujours considérées comme la troisième grand-mère. Après la naissance, elles sont invitées à la cérémonie du septième jour, où l'enfant est présenté à la société.
Les pères assistent parfois à l'accouchement, mais de nombreuses femmes préfèrent encore être accompagnées de leur mère et d'amies, qui vont les bichonner et les soutenir pendant le travail. Ces dernières ne sont cependant pas admises en salle d'accouchement.
La mère et la belle-mère de la femme se chargent aussi de ses massages et de ceux du bébé, tâche qui était réservée à la sage-femme.
Il reste donc, au Maghreb, de nombreuses habitudes héritées des accouchements traditionnels, et beaucoup à faire pour améliorer la santé des mères et des femmes.
Mais en même temps, on n'est, heureusement, pas encore dans la situation française, où de nombreux professionnels de la naissance s'alarment de la surmédicalisation de l'accouchement, qui n'est pourtant pas une maladie.
Car à trop médicaliser, la transmission d'un savoir féminin est interrompue...
Nour Guerroudj