Les champignons de la mort
Le 13 février 1960, la France a accédé au statut de puissance nucléaire après l’explosion, à Reggane, dans le Sud-Ouest algérien, d’une bombe atomique, expérimentale, mais d’une puissance quatre fois supérieure à celle d’Hiroshima en 1945.Cette explosion sera suivie de trois autres en atmosphère, puis de treize autres à Aïn-Ikker, dans le Hoggar, celles-ci souterraines, suite aux protestations des Etats subsahariens limitrophes sur les risques de radioactivité sur leurs populations. Gerboise bleue est le nom de code du premier essai, c’est également le titre du documentaire de 90 minutes que le réalisateur, Djamel Ouahab, vient de consacrer aux conséquences dramatiques de ces explosions sur la santé de centaines de militaires français et milliers de civils parmi la population locale algérienne. Tourné en 35 mm et produit par Kalame Fims et Bladi Films, il sera diffusé à partir du 11 février dans les salles de cinéma en France.
Une clause secrète des Accords d’Evian, signés par la France et l’Algérie le 18 mars 1962, autorisait la France à poursuivre ses expériences jusqu’en 1967. Cette clause concernait aussi l’utilisation jusqu’en 1978 de la base ultrasecrète B2-Namous, à Hammadir, dans la région saharienne de Béchar, pour les essais d’armes chimiques et bactériologiques.Les victimes françaises, dont beaucoup d’entre elles sont décédées, s’estiment trahies par leur propre Etat. Elles affirment que ses responsables les ont non seulement exposées en connaissance de cause, mais ont refusé de reconnaître les conséquences de cette exposition et les multiples maladies causées par ces essais pour ne pas avoir à les indemniser.
C’est ainsi que tous les procès qu’elles ont intentés contre l’armée française ont été rejetés au motif qu’une plainte n’est recevable que si elle est déposée dans les 30 jours suivants le départ définitif de l’armée. Mais comment les plaignants pouvaient-ils le savoir, alors qu’ils avaient été sciemment tenus dans l’ignorance de la nature des risques encourus, à court ou moyen terme ? « On ne nous a rien dit », explique l’une des victimes. « On nous a juste demandé de nous rendre au point zéro du lieu de l’explosion, de lui tourner le dos et de fermer les yeux au moment de l’explosion » ajoute-t-il. L’explosion avait fait un bruit énorme et dégagé une lumière très vive qu’ils ont perçue à travers leurs paupières. Des habitants de Reggane et de Aïn Ikker se souviennent eux aussi d’un bruit énorme et d’un « éclair » tôt le matin. Ils en ignoraient cependant l’origine. Depuis, plusieurs d’entre eux sont devenus aveugles.
Le gouvernement français refuse aussi d’adopter le « principe de présomption d’origine » en vigueur par exemple aux USA et au Canada. Un médecin, interviewé dans le film et très engagé dans cette affaire, s’insurge. Pour lui, exiger des victimes qu’elles apportent les preuves de ce lien de cause à effet, en l’état actuel de la science, n’est rien moins qu’une « monstruosité scientifique ». Le même témoin français cite le traitement très lourd auquel il est astreint depuis très longtemps. Une autre victime, française aussi, défigurée par les affections dues, selon lui, à sa contamination par ces explosions, a subi des dizaines d’opérations chirurgicales.
Les victimes parmi les Touaregs algériens, totalement ignorées par l’Etat français, réclament aussi que la France répare les dégâts qu’elle a occasionnés en Algérie, tant aux hommes qu’à l’environnement. Le film montre la fréquence anormalement élevée de maladies congénitales très handicapantes dans la région. Les médecins des hôpitaux publics de la région affirment qu’ils parlent souvent des liens possibles de ces pathologies avec les essais atomiques qui ont eu lieu, ici, durant la première moitié des années 1960. Mais sans en avoir la certitude, précisent-ils, car ils ne disposent pas de moyens scientifiques et techniques adéquats pour étayer leurs présomptions. Ce serait bien, affirme une victime algérienne, que la France construise un hôpital « pour les soigner ».
Des palmeraies sont également devenues improductives et les palmes se sont asséchées, certainement pour les mêmes raisons, de l’avis des habitants.Un habitant de Hammadir exige de la France qu’elle fasse disparaître la sorte de petite pyramide bétonnée qu’elle a construite en pleine nature, et contenant très probablement des déchets d’armes chimiques et bactériologiques. Du matériel rouillé et contaminé, ainsi que des déchets radioactifs ont été aussi abandonnés sur le sol à la portée de tous. Selon Mohamed Bedjaoui, ancien ministre algérien des Affaires étrangères, les autorités françaises ne se sont jamais souciées de prendre contact avec le gouvernement algérien pour régler ce problème. Mais à croire le porte-parole du ministère français de la Défense, ce sont plutôt les responsables algériens qui ne se sont pas manifestés auprès d’eux, s’empressant de déclarer que la France est tout à fait disposée à entamer des négociations avec l’Algérie autour de cette question.
Ajoutons que la clause en question des Accords d’Evian ne prévoyaient ni le démantèlement des installations contaminées par la radioactivité ni la décontamination des lieux auxquels d’ailleurs les pouvoirs publics algériens interdisent l’accès pour cette raison. Gerboise bleue est le deuxième long métrage de Djamel Ouahab, scénariste, réalisateur et comédien d’origine algérienne. Le premier, Cour interdite (drame d’un jeune devenu dealer pour faire vivre sa famille) remonte à 1999. Djamel Ouahab prépare actuellement une fiction, Fellouze. Il a été, pendant plusieurs années, membre dirigeant de l’agence du cinéma indépendant pour sa diffusion et intervient aussi dans les ateliers de la FEMIS ainsi qu’au Cours Florent à Paris pour la formation des comédiens.
Par Hakim Arabdiou, El Watan (Alger) du 05-02-2009.