Le Prêtre Jean
1. Présentation
Le Prêtre Jean ou Jean le prêtre, roi et prêtre chrétien légendaire au Moyen Age, aurait régné aux confins de la Chine et de la Mongolie ou sur l’Abyssinie.
2. Chronologie
Johannes Presbyter [Jean le Presbytre (« le prêtre » ou « l’ancien »)] est mentionné pour la première fois dans la chronique de l'évêque historien, Otto de Freising :
En 1145, ce dernier indique au pape Eugène III que l'évêque syrien de Gaboula lui a parlé de « Jean, roi et prêtre », descendant des Rois mages, qui règne en Asie, au-delà des royaumes de Perse et d’Arménie, et commande une armée considérable qu’il souhaite mettre à la disposition des défenseurs de Jérusalem ; ce « Prêtre Jean, car il ne veut pas être appelé autrement » est si riche que son sceptre est fait d’une émeraude massive.
On imagine alors que des chrétiens nestoriens (voir « Le nestorianisme ») ont instauré une riche monarchie sous l'autorité d'un roi-prêtre nommé Jean, khan d'Asie centrale, converti au XIIe siècle.
En 1145, toujours, alors que les Croisés subissent la pression des armées musulmanes en Terre sainte, la rumeur annonce qu’un « prêtre Jean » aurait attaqué et vaincu l'armée du sultan de Perse Sandjar, et qu’il s’apprête à venir en aide aux chrétiens de Jérusalem. Le moral des Croisés remonte pour un temps mais aucune armée venue d’Asie ne vole à leur secours.
Cependant, une bataille a bien opposé, en 1141, la tribu asiatique des Kara Kitay, originaire de Chine et menée par son chef Gur-khan, au sultan de Perse Sandjar, près de Samarkand. Gur-khan, qui avait subi l'influence nestorienne, est donc certainement à la source de la légende. Toutefois, il est mort en 1143 ou 1144, avant que le mythe du prêtre Jean ne prenne naissance.
Vers 1160, des lettres de ce mystérieux personnage circulent, adressées à l'empereur de Byzance Manuel Ier, à l’empereur allemand Frédéric Barberousse et au pape Alexandre III. Des versions hébraïques font état des tribus perdues d’Israël…
La « Lettre du Prêtre Jean à Manuel, gouverneur des Roméens », adressée à l'empereur Manuel Ier Comnène de Byzance et rédigée en latin, décrit l’existence d'un royaume chrétien à l'Est :
« Moi, Prêtre Jean, par vertu et pouvoir de Dieu et de Notre Seigneur Jésus-Christ, seigneur des seigneurs, à Manuel, gouverneur des Roméens... Je suis le souverain des souverains et je dépasse les rois de la terre entière par les richesses, la vertu et la puissance. 72 rois sont mes tributaires. Je suis dévot chrétien et partout nous défendons et secourons de nos aumônes les chrétiens pauvres placés sous le pouvoir de notre clémence... Notre magnificence domine sur les trois Indes et notre territoire s'étend de l'Inde ultérieure, où repose le corps de saint Thomas, jusqu'au désert de Babylone, proche de la tour de Babel (…)
Sur cette terre, coulent le lait et le miel. Elle est traversée par un fleuve venant du paradis terrestre, qui roule dans son lit émeraudes, saphirs, topazes, béryls, améthystes et autres pierres précieuses. Une forêt qui produit le poivre en abondance s'étend au pied de l'Olympe, proche du paradis terrestre, d'où coule une source dont l'eau est parfumée de mille épices (…)
Une des merveilles de notre terre est la mer aréneuse. Le sable, en effet, y est en mouvement et se gonfle en vagues, comme la mer (…)
Il n'y a pas de pauvres parmi nous. Nous ne connaissons ni vol, ni adulation, ni cupidité, ni divisions. Le mensonge y est inconnu. Aucun vice ne règne chez nous (…)
À la guerre, les troupes sont précédées de 13 grandes croix d'or et pierres précieuses. Chacune est suivie de 10 000 soldats et 100 000 hommes de pied. Le palais du Prêtre a des plafonds en bois imputrescible. Son toit a l'apparence du ciel, car il est semé de saphirs et de topazes très lumineuses ressemblant à des étoiles. Sur ce toit, 2 pommes d'or, surmontées chacune d'un cristal, de façon que resplendissent l'or durant le jour et les cristaux la nuit. Le pavement du palais est en cristal et aux murs intérieurs, sont accolées 50 colonnes soutenant chacune une escarboucle grande comme une amphore. Aussi, le palais n'a-t-il pas de fenêtres car il est éclairé par ces pierres précieuses autant qu'il pourrait l'être par le soleil. Les tables de la cour sont, les unes en or, les autres en améthyste ; les colonnes soutenant les tables, en ivoire. 30 000 hommes, dont 7 rois, 62 ducs, 365 comtes, 12 archevêques, 20 évêques, plus le patriarche de saint Thomas, déjeunent chaque jour au palais, où la chambre royale est ornée d'or et de pierres précieuses. Le lit est en saphir, pierre propice à la chasteté. Nous avons de très belles femmes. Mais elles ne nous rejoignent que 4 fois l'an, et seulement pour la procréation d'enfants. Puis, une fois sanctifiée par nous, comme Bethsabée par David, chacune retourne à son appartement. Devant le bâtiment royal, un miroir magique, situé à une grande hauteur, permet de voir tout ce qui se passe, pour et contre nous, dans le royaume et provinces voisins (…)
Notre terre s'étend d'un côté jusqu'à presque 4 mois de marche et, de l'autre, jusqu'à une distance que personne ne peut connaître. Si tu peux dénombrer les étoiles du ciel et le sable de la mer, tu pourras aussi mesurer notre empire et notre puissance. »
Le pape Alexandre III reçoit une lettre du « Prêtre Jean, Roi des rois » Mais il s’agit d’un faux dû à Christian, évêque de Mayence. C'est donc dans la région rhénane que se forge l'idée (et la nouvelle se répand fort loin) qu'un souverain lointain, descendant du Roi mage Melchior, peut prendre le monde musulman à revers.
En 1177, Alexandre III, qui aurait recu la visite d’un envoyé du Prêtre Jean (un Éthiopien ou un Nubien ?) envoie en Asie son médecin Philippe, porteur d'une lettre dans laquelle il invite le souverain nestorien, « Indorum rex, sacerdotum sanctissimus », « son très cher fils en Jésus-Christ, l’illustre et magnifique roi des Indes », à rejoindre l’Eglise romaine dans ses combats contre les musulmans. L'émissaire disparaît, la légendaire armée chrétienne orientale ne vient pas combattre en Terre sainte et Saladin prend Jérusalem en 1187.
Malgré les victoires des armées musulmanes, la légende perdure. Elle prend même une vigueur nouvelle lorsque l’on prend connaissance, en 1221, d’une seconde victoire à Samarkand contre le sultan de Khorana. Le combattant victorieux, celui que l'on considère comme le prêtre Jean ou le roi David (ou plutôt son successeur), n’est autre que le chef mongol Gengis Khan, dans les armées duquel se trouvent de nombreux nestoriens.
Pour Jean du Plan Carpin, légat du pape auprès du Khan des Mongols en 1246 (« Histoire des Mongols »), le prêtre Jean est un roi indien, vainqueur des Mongols et voisin des noirs Éthiopiens, musulmans et soumis, eux, par Gengis khan !
Joinville, dans son récit de la septième croisade (1248-1254), rapporte que les Tartares se révoltèrent contre le Prêtre Jean et le tuèrent.
En 1253, Vincent Beauvais, dans son « Speculum historiae », assure que le Prêtre Jean fut jadis l'empereur de l'Inde et le suzerain des Tartares, qui lui payaient tribut.
Jean de Monte Corvino, voyageant en Chine en 1289, convertit du nestorianisme au catholicisme le roi Georges, chef de la tribu turque des Ongüt et « descendant du grand roi qui fut nommé le Prêtre Jean de l'Inde ».
En 1298, dans son récit, Marco Polo dit reconnaître les descendants du Prêtre Jean dans la dynastie chrétienne qui règne sur les Turcs Ongüt de Mongolie.
Au XIVe siècle, on parle beaucoup du Royaume du prêtre Jean. On le recherche en Asie où on identifie le légendaire souverain avec le khan des Mongols Hûlâgû puis on croit le trouver en Abyssinie (Ethiopie) où règne le négus, un souverain chrétien. De fait, une grande confusion géographique brouille les esprits, et l’on ne sait plus trop si l'Éthiopie jouxte l'Inde ou pas !
Le cartographe génois Giovanni da Carignano aurait rencontré à Gênes en 1306, les membres d’une ambassade éthiopienne de 30 légats envoyés par l’empereur d’Ethiopie Wedem Ara'ad pour présenter leurs respects au pape français Clément V.
Vers 1320, l'archevêque latin de Sultaniyeh (quartier ouest de Téhéran), qui s'est informé et a enquêté sur la réalité éthiopienne jusque dans l'océan Indien, propose de bloquer la mer Rouge avec le concours de ce pays limitrophe (une idée que reprendra le Portugais Albuquerque 2 siècles plus tard).
Vers 1323, Jourdain de Séverac écrit, dans ses « Mirabilia », que les habitants de la « troisième Inde » obéissent à « l'empereur d'Éthiopie, que vous appelez Prestre Johan ».
Jordanus Catalani, évêque latin de l’Inde, déclare en 1324 qu’il n’existe pas de Prêtre Jean dans son diocèse. En 1328, il évoque l’empereur des Ethiopiens : « quem vos vocatis Prestre Johan ».
En 1328, un franciscain irlandais, Siméon Simeonis, se laisse dire en Égypte qu'en remontant le Nil 70 jours durant on parvient, après avoir traversé la Nubie, à « l’Inde supérieure », où réside « le prêtre Jean ».
En 1331, Odorico de Pordenone, un voyageur franciscain, situe la terre du Prêtre Jean à 50 journées à l’ouest de Pékin.
En 1352, le franciscain Giovanni de Marignolli, légat apostolique en Asie, parle dans sa « Chronica » de l’« Éthiopie où se trouvent des nègres et qui est appelée le pays du Prêtre Jean ».
En 1402 arrive à Venise une ambassade du négus David Ier, roi d’Ethiopie, qui porte le titre de « zan » ; on l'assimile aussitôt au fameux « Prêtre Jean ».
En 1414, le concile de Constance attend en vain les ambassadeurs du « Prêtre Jean ».
En 1459, la carte de Fra Mauro indique une grande ville en Ethiopie avec la mention : « Qui il Preste Janni fa residentia principal. »
En 1524, David Rubéni, qui affirme être l’ambassadeur d’un royaume juif de Khaibar en Arabie (royaume falasha ?) obtient du pape Clément VII des lettres pour Jean III, roi du Portugal, et pour le « prêtre Jean », roi d’Éthiopie.
La croyance en l'existence d'un grand royaume chrétien en Afrique ou en Asie persiste et l'espoir de rejoindre ce royaume est l'une des raisons qui poussent les Portugais (en particulier Henri le Navigateur, grand maître des Chevaliers du Christ) à entreprendre leurs grandes expéditions maritimes.
Quand la première ambassade portugaise est envoyée en Éthiopie au XVIe siècle, ses membres croient qu'ils vont rencontrer le « Prêtre Jean des Indes ». Le récit autorisé de cette mission est transcrit en 1526 par le père Francisco Alvarez qui, débarqué dans la mer Rouge au port de Massaoua en avril 1520, avait passé six années à voyager autour de l'Éthiopie. Bien que cette expédition ait lieu sans conteste en continent africain, le titre de l'ouvrage continue d'alimenter la même confusion : « Verdadera Informacam das terras do Preste Joam das Indias » (Véritable Information sur les pays du Prêtre Jean des Indes). Dans ce livre savant et bien informé, Alvarez parle toujours de l'empereur d'Éthiopie en ajoutant : « connu sous le nom de Prêtre Jean ».
On sait aujourd'hui que le peuple abyssin désignait familièrement et traditionnellement son souverain par le vocable de « Jannoy », assez proche de Johannes. On sait aussi qu'avec l'investiture royale tout nouveau souverain recevait l'ordination diaconale et donc les prérogatives d'un prêtre (longtemps, les souverains éthiopiens ont été représentés une croix à la main dans l'exercice de leur autorité).
La figure du Prêtre Jean a été aussi confondue avec celle d’un roi David (originellement le roi de Géorgie), investi de la défense des Portes de Fer contre les « peuples immondes de Gog et Magog », qu’on situait au nord-est de l’Asie (J. Richard, « L’Extrême-Orient légendaire », in « Annales d’Éthiopie », 1957).
Le Dalaï-lama a été pris quelquefois pour le Prêtre Jean. 3. Citations
« En cette berrie [ndlr : plaine] estoit le peuple des Tartarins, et estoient subjet à prestre Jehan et à l'empereour de Perse. » (Joinville)
« Les Abyssins, à mesure qu'ils sont plus grands et plus advancez prez le prette-jan leur maistre. » (Montaigne)
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