La tolérance religieuse en Tunisie menacée
Comment enrayer la montée de l’islamisme radical ?
En Tunisie, les synagogues juives et les églises chrétiennes côtoient les mosquées. Les minorités, juive et chrétienne, pratiquent librement leurs cultes religieux. Ce constat de tolérance est assuré par la Constitution qui garantit l’inviolabilité de la personne humaine, assure la liberté de conscience et protège le libre exercice des cultes. Mais un islam de tolérance et d’ouverture a été mis en péril ces dix dernières années par la montée en puissance de l’islamisme radical dans le monde arabo-musulman.
Par Mourad Sellami, journaliste tunisien, avec la collaboration d’Un Monde Libre
Des dizaines de jeunes Tunisiens ont rallié les aires de combat en Afghanistan, en Tchétchénie ou en Bosnie, comme aujourd’hui en Irak. A l’intérieur du pays, les « kamis » (robe afghane) ont fait, timidement, leur apparition dans les rues des villes tunisiennes depuis quelques années, en signe d’approbation pour ces idées extrémistes. Chez les femmes, les voiles islamiques commencent à prendre la place du « safsari » tunisien traditionnel.
Ce changement inquiète nombre de Tunisiens car il touche à la base de leur société, fondée sur la diversité religieuse et sur une législation – presque – laïque ; deux principes aujourd’hui attaqués par les musulmans radicaux qui les considèrent comme incompatibles avec l’islam.
Car où trouve-t-on encore aujourd’hui dans le monde arabe une communauté juive de près de six mille personnes ? En Tunisie, cette dernière réside en partie dans l’île de Djerba ; ainsi qu’une communauté chrétienne dont le nombre dépasse les vingt mille entre catholiques, protestants et Grecs orthodoxes. Elles partagent toutes un respect mutuel de la culture et des rites de chacun à tel point que les Tunisiens musulmans assistent aux fêtes chrétiennes et juives, surtout Noël et le pèlerinage judaïque à la Gheriba (Djerba).
Préserver les acquis de la politique de tolérance
Cette approche tolérante et libérale concerne aussi le statut de la femme. Le premier président de la Tunisie Habib Bourguiba a promulgué en 1956 le Code de Statut Personnel « CSP » : l’unique législation instituant la monogamie dans le monde arabo-musulman. Le CSP a été encore renforcé par l’actuel président Ben-Ali. Par ailleurs, la Tunisie est l’un des rares pays au monde où il n’y a pas de mariage religieux. Seule une autorité civile peut proclamer le mariage même s’il se déroule, parfois, dans une mosquée.
Ces acquis, les Tunisiens ne sont pas prêts à les perdre face à la montée d’un islamisme radical qui se sert des programmes satellitaires pour condamner la liberté de culte et la présence de touristes non musulmans en Tunisie, ainsi que pour appeler à mettre un terme aux lois laïques. La société civile défend la modernité sociale et la tolérance. Des colloques ont été organisés par les universités sur la coexistence des religions et le respect de la différence culturelle. Des dizaines de pétitions ont circulé pour affirmer l’attachement aux acquis de la femme tunisienne et ont appelé à les renforcer.
Le pouvoir politique, lui, a adopté une attitude sécuritaire . Il a mis en veilleuse toutes les activités et les revues qui risquent de se faire noyauter par les intégristes, interdit les manifestations religieuses comme les cercles d’explication de l’Islam et des paroles du prophète Mohamed, restreint l’utilisation des mosquées aux cinq prières quotidiennes, écarté des prêches du vendredi*** les Imams dont l’appartenance intégriste est soupçonnée. Il a même interdit le port du voile aux femmes dans les établissements scolaires, universitaires et administratifs.
Engager une lutte de fond
Pour de nombreux observateurs des droits humains, ces mesures coercitives laissent la part belle à l’arbitraire et font peu cas de la liberté individuelle de culte. Or c’est en donnant le rôle de la victime aux intégristes, qu’elles renforcent l’attrait de l’extrémisme aux yeux des jeunes en quête d’identité ou d’opposition et ne font que contrer de manière apparente la montée du phénomène.
Une lutte de fond, basée sur un argumentaire religieux tolérant, est nécessaire pour éradiquer les ramifications de l’intégrisme au sein de la société. Il faudrait exploiter la modération de l’Islam malékite et puiser dans la culture populaire tolérante pour clamer la coexistence pacifique de toutes les couches sociales et le respect de l’autre dans la différence. La Tunisie a toujours été un carrefour des civilisations. Cette richesse culturelle aiderait à favoriser la coexistence de toutes les cultures et les religions dans le respect mutuel.
Seul ce discours permettra d’éviter l’éventuel sentiment de compassion que pourraient susciter des extrémistes qui veulent semer la discorde dans la société en qualifiant de mécréants ceux qui ne les suivent pas. Une attitude trop dure ferait courir le risque que ces salafistes soient pris pour des victimes de l’intolérance, punis pour leur conviction religieuse.
Le combat pour la tolérance en Tunisie vit, aujourd’hui, une autre phase plus nuancée que celle qui a été menée pour la libération de la femme. Et c’est, encore et toujours, par la force de l’argument qu’il est impératif de la mener et de la réussir.
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