Cimetière de Aïn El-Beïda
Les diseuses de bonne aventure de retour
Tous les vendredis, le cimetière de Aïn El-Beïda connaît une ambiance particulière. En plus des centaines de citoyens qui viennent se recueillir sur les tombes de leurs proches, ce sont d'autres personnes qui investissent le lieu, les uns pour vendre et les autres pour «des services». Ainsi, à l'entrée principale, c'est un véritable souk qui se constitue. Tout se vend et à des prix qui ne diffèrent guère de ceux de la ville. Dattes, persil, coriandre, articles de vaisselle et bonneterie sont exposés à même le sol notamment à proximité de l'espace réservé aux bus en provenance du centre-ville. Sur ce plan, il est à constater que c'est l'anarchie totale au point où les receveurs se disputent les usagers.
Bref, c'est le règne de l'informel et chacun semble trouver son compte. Toutefois, beaucoup a été fait par la municipalité dans ce cimetière, telle la mosquée pour l'accomplissement de la prière du mort et la réalisation de toilettes publiques. A ce sujet, cet équipement qui a fait tant défaut est géré par une femme et le moins que l'on puisse dire est qu'elle fait l'unanimité autour d'elle. Mais, c'est à l'intérieur du cimetière qu'on se rend compte que cet espace réservé aux morts peut être également le lieu de rencontres, souvent bénéfiques, comme ce septuagénaire qui a revu un ancien petit camarade, perdu de vue depuis 60 ans. Ce sont, sans conteste, certaines femmes qui ne font pas le déplacement pour rien puisqu'elles n'hésitent pas à faire des repérages... de filles en âge de se marier.
L'autre phénomène qui peut attirer votre attention est la présence de ces femmes, à l'accent étranger à la région et qui vous accostent aux endroits isolés. Il s'agit des diseuses de bonne aventure. Ayant été contraintes de déguerpir et d'élire domicile près du Palais des sports, il y a de cela quelques années, elles reviennent timidement et dans la discrétion car le lieu s'y prête et l'accroche est plus facile surtout pour la gent féminine à la recherche de la moindre explication sur un mari fugueur, une fille en âge de se marier ou un fils délinquant. Avec une verve du langage et des coïncidences à vous donner le tournis, la bonne femme reste accroupie et entend avec stupéfaction le «diagnostic et la thérapie», avant de lui remettre quelques pièces de monnaie. Sans les regarder, la voyeuse les met dans son porte-monnaie et guette déjà une autre cliente qu'elle ira approcher près de la tombe sur laquelle elle est venue se recueillir, afin de ne pas éveiller les soupçons.
A l'inverse de cette pratique bannie par la religion, le récit des versets du Coran est toujours toléré. Des vieux et même des jeunes vous proposent leurs services en s'imposant parfois et commencent leur récit avant même de leur donner votre accord. En fait, c'est la meilleure façon de vous mettre devant le fait accompli. Pour les tarifs, rien n'est fixé préalablement, mais généralement la somme minimale est supérieure à 50 DA. D'autres visiteurs, surtout les hommes, refusent le «service» et préfèrent qu'ils récitent eux-mêmes quelques sourates. Ils vous diront même que le Coran étant sacré, il ne peut faire en aucun cas l'objet de pratiques mercantiles.
Le Quotidien d'Oran
S. Chalal