Des testicules dans la marmite
Notre monde, qui n’a que le sexe à la bouche, ne veut plus manger de testicules. Voilà l’un des paradoxes de la modernité, qui joue les délurées mais s’avère méchamment puritaine dans la pratique. Pourtant, il y a quelques décennies encore, on se régalait des animelles, rognons blancs de coq, suites de sangliers, œufs de moutons et autres gonades de taureau. Et puis patatras, un beau jour plus personne n’a voulu croquer dans une joyeuse. Essayez donc de servir des béatilles sautées à vos convives. Berk assuré.
Ce revers de l’Histoire, Blandine Vié le détaille dans son livre érudit et drôle baptisé Testicules (ed. de l'Epure). Journaliste culinaire, la dame a une formation en histoire de l’art et une dizaine de livres gourmands à son actif. Déplorant la disgrâce de ces abats-là, elle a entrepris d’en chanter les louanges dans un essai qui mêle mythologie, histoire, recettes et panorama lexical. «Je l’ai commencé comme un simple livre de cuisine, très vite je me suis aperçue qu’il serait dommage de s’en tenir aux fourneaux. »
Car la valseuse n’est évidemment pas un mets comme les autres. «La grivoiserie surgit aussitôt», constate Blandine Vié. «On ne peut manger des testicules d’animaux sans immédiatement penser à ceux de l’homme. Ce qui n’est nullement le cas pour d’autres pièces de viande.» Nul ne ricane ou ne rosit en effet en avalant une cuisse de dinde.
Ce troublant effet miroir, s’il participe aujourd’hui à la déchéance de ces morceaux-là, en a longtemps fait la gloire. «Dans l’Antiquité, ce sont des mets de héros. Censés contenir la force et la virilité des animaux, ils sont servis aux vainqueurs. » On imagine la tête de Federer ou Nadal devant un plat d’animelles.
Au Moyen Age, les roupettes font l’ordinaire des banquets paillards et arrosés, avant de se faire victuailles aristocratiques à la cour de Louis XV. «Après tout, il s’agit de pièces rares, si l’on considère leur taille comparée à la masse de l’animal», sourit Madame Vié. Le XIXe les adore aussi, louant leur délicatesse autant que les vertus aphrodisiaques qui, de tout temps, leur ont été associées. La sagesse populaire est formelle : qui mange des mignonnettes brille sous la couette.
Début XXe, la cote des roubignoles dégringole. Les voilà devenus plat de pauvres. Elles constituent le casse-croûte des forts des Halles et ne mijotent plus guère que dans les marmites éclairées. A l’aube des années 70, l’estocade sera portée par les lois sur l’hygiène, l’industrie agroalimentaire triomphante, ainsi que par le «bon goût» et la frilosité modernes. «Les riches ne veulent plus s’abaisser à consommer de la triperie. Les pauvres ne veulent plus de produits dédaignés par les riches», résume Blandine Vié. Vache folle et grippe aviaire achèveront nos pauvres bonbons.
Aujourd’hui, on peut encore dégotter rognons blancs et amourettes, à condition de les commander au bon boucher. L’occasion d’essayer l’une des quelque cent recettes du livre, recettes créées et testées par l’auteure, ou issues du grand répertoire gastronomique. Recettes sévèrement coucougnées, que le lecteur se prend à rêver de cuisiner. Qui eût cru que l'on songe un jour à croquer dans une burne ?
Estèbe
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