A Berriane, deux communautés religieuses opposées, les ibadites et les malékites, s’affrontent violemment, brûlant voitures et maisons, tuant et pillant chacun de son côté pour la gloire de leur secte. En cagoules et barres de fer, en épées et étendards, ils ont réussi à couper la ville en deux avec une ligne de démarcation, créant un Beyrouth en plein désert. A Tiaret, une femme en pleine taqqiya est arrêtée pour possession de bibles. Déférée devant le parquet comme une délinquante, le procureur Torquemada requiert trois ans de prison sous les yeux du juge de l’Inquisition, pendant que dehors, on prépare les bûchers. Ces incroyables histoires du XXIe siècle se passent en Algérie, pays moderne, électrifié, qui exporte des hydrocarbures, construit des centrales solaires, produit des ingénieurs en physique nucléaire et des démodulateurs numériques. Ces incroyables histoires sont les fruits d’une même vision étriquée de l’histoire, d’un Moyen-Âge qui pointe à chaque minute. Il y a pourtant deux intolérances, celle d’en haut, distillée à travers les discours du ministre des Affaires religieuses qui condamne régulièrement les khaouarijs, à travers la rhétorique permanente des imams officiels qui pourfendent les juifs et les croisés chaque vendredi, à travers les policiers, juges et procureurs qui traquent les chrétiens comme on traque des revendeurs de drogues dures. L’autre intolérance vient d’en bas, celle d’un peuple qui a basculé dans la superstition, la haine et la violence, l’obscurantisme et l’ignorance, la peur des météorites et des sorciers, qui croit aux séismes d’origine humaine, à la rokia et aux prières pour la pluie, pour la semoule et la hausse des prix du baril de pétrole. Après plusieurs décennies d’hésitations, ces deux intolérances se sont rejointes au centre, fabriquant un formidable pays qui nous ferait presque regretter Staline.
Chawki Amari, El Watan, quotidien paraissant à Alger, du 24-05-2008.